Présentation du mémoire de

l'Association mathématique du Québec

à la Commission des états généraux de l'éducation

24 août 1995


Madame la présidente, monsieur le président,
mesdames, messieurs les commissaires,

Permettez-moi de vous présenter d'abord les membres du comité exécutif de l'Association mathématique du Québec qui sont ici avec moi ce matin: madame Rita Arena, messsieurs Pierre Ripeau et Jean- Denis Groleau, et monsieur Jacques Lefebvre, qui s'est occupé de la rédaction de notre mémoire. Je suis Bernard Courteau, président de l'Association mathématique du Québec (AMQ).

L'Association mathématique du Québec tient à remercier la Commission des états généraux de l'éducation de lui donner l'occasion de participer à la réflexion collective visant à dégager les grandes lignes de force qui vont orienter le système d'éducation du Québec pour les quelques 25 prochaines années.

L'Association mathématique du Québec a été fondée en 1958. Elle a été par la suite de tous les débats sur le système d'éducation du Québec. À titre d'exemple, nous sommes intervenu en décembre 1993 sur le document "Faire avancer l'école" et en juin 1993 sur la formation générale, lors de la réforme des cégeps. C'est avec plaisir que nous intervenons encore aujourd'hui.

Le mémoire que nous vous avons soumis a été discuté en profondeur et adopté par le conseil d'administration de l'Association. Il servira de document de base lors d'un débat qui aura lieu dans le cadre de notre congrès annuel du 13 au 15 octobre prochain au Cégep de Lévis-Lauzon et auquel nous avons plaisir à vous inviter.

Notre mémoire est divisé en 5 parties:

  1. Les finalités de l'éducation
  2. La place et le rôle des mathématiques dans la connaissance, dans la société et le système scolaire
  3. Les difficultés rencontrées dans l'enseignement des mathématiques
  4. Quelques pistes générales de solution
  5. Les recommandations concrètes de l'AMQ.

Vous avez en main un très bon résumé de notre mémoire sous forme d'une fiche-synthèse. J'aimerais cependant dans les quelques prochaines minutes, survoler le texte en mettant l'accent sur certains points importants avant de laisser place aux questions et à la discussion.

Dans la partie 1, sur les finalités de l'éducation, nous affirmons que l'élève est au centre de l'activité éducative. Les goûts, croyances, opinions, désirs des élèves doivent être pris en compte mais ne sont pas une fin en soi. Ils sont un moyen en vue d'une formation. L'élève vient à l'école chercher quelque chose: il vient se chercher lui-même, il vient chercher des éléments pour vivre en société, il vient chercher des outils intellectuels pour comprendre le monde et agir sur lui. Formation de la personne, formation du citoyen, formation de l'esprit, nous croyons que les mathématiques ont un rôle essentiel à jouer sur ces trois plans, un rôle un peu analogue à celui de la langue maternelle.

Dans la partie 2, sur la place et le rôle des mathématiques dans la connaissance, la société et le système scolaire, nous faisons valoir que les mathématiques sont nées avec le langage et font partie de la culture universelle depuis l'invention de l'écriture, il y a 5 000 ans. Les mathématiques ont servi dans la pratique des Mésopotamiens et des Égyptiens: comptabilité, inventaire, partages, navigation, architecture, construction de machines de toutes sortes. Par la suite les Grecs de l'antiquité classique ont clarifié ce que devrait être une science et ont insisté sur l'équilibre qui doit exister entre la théorie et la pratique. Il est impressionnant par exemple, de voir comment les Grecs, en effectuant des mesures de longueurs terrestres et d'angles, et en les combinant avec la théorie géométrique et trigonométrique qu'ils avaient développée auparavant, ont pu obtenir une approximation du rayon de la terre, rayon qu'ils ne pouvaient mesurer directement, pour finalement en déduire une approximation de la distance de la terre à la lune. Les mathématiques sont au coeur de cette méthode scientifique qui consiste à représenter schématiquement la réalité par un modèle qui, s'il est de nature mathématique, permettra le jeu des déductions-prévisions conduisant à des lois que l'expérimentaion mettra systématiquement à l'épreuve pour confirmer, modifier ou rejeter le modèle qui n'était en fait au départ qu'une hypothèse de travail. David Hilbert, l'un des mathématiciens qui a exercé l'influence la plus profonde sur les mathématiques du XXe siècle disait que les mathématiques sont un instrument qui permet de réaliser la jonction entre la théorie et la pratique, entre la pensée spéculative et l'expérience.

Il est important de dire ici que nous vivons l'âge d'or des mathématiques comme discipline scientifique: 1500 revues consacrées aux mathématiques publient chaque année 250 000 articles en 100 langues différentes. On a inventé depuis 50 ans plus de mathématiques qu'au cours de toutes les époques passées.

Mais c'est probablement l'aspect méthodologique des mathématiques qui explique en bonne partie l'importance qu'on lui accorde dans les autres sciences, dans les techniques et dans l'éducation. L'apprentissage des mathématiques, comme celui de la langue maternelle (j'entends la langue de pensée), vise à fournir à l'élève des outils conceptuels de base qui lui serviront ensuite partout, qu'il en soit conscient ou non. Albert Jacquart donne une belle image de ce rôle:

"En réalité, les mathématiques sont l'exercice de base du mécanisme intellectuel. De même, qu'un enfant apprend à marcher avant de courir, faire de la bicyclette ou du cheval, de même il apprend le jeu du raisonnement à propos de nombres et de figures, avant d'utiliser les règles de ce jeu pour exprimer ou discuter des idées" (dans un contexte plus complexe).

Une autre façon de présenter ce qui précède est de dire que les mathématiques sont une langue: une langue qui s'écrit, qui se parle, une langue qui permet d'exprimer des idées et qui développe une attitude et des réflexes rationnels. Les mathématiques nous forcent à poser les questions: pourquoi? comment? en donnant les moyens d'y répondre. Nous rejoignons ainsi l'idée énoncée par le ministre de l'éducation en avril dernier à savoir qu'il y a 3 langages que les élèves doivent maîtriser à l'école: le français, les mathématiques et l'informatique.

Dans la troisième partie de notre mémoire, nous parlons des difficultés rencontrées dans l'enseignement des mathématiques.

Du côté des élèves, on déplore, comme tout le monde, le décrochage qui est, à l'origine, un décrochage mental (manque d'intérêt, pédagogie non stimulante, mauvaise orientation scolaire, troubles d'apprentissage ou de comportement, problèmes familiaux). Ce décrochage mental amène l'élève à ne pas consentir l'effort nécessaire, trop habitué qu'il est aux satisfactions immédiates. Souvent par nécessité ou par choix cet élève a un emploi assez accaparant, difficile à concilier avec les études. On a aussi l'impression que, comme jadis le jeune roi Alexandre le Grand de Macédoine, les élèves réclament une "voie royale" (une autoroute qui mènerait rapidement et sans effort à l'essentiel des connaissances). Peut-être devrions-nous avoir le courage et l'honnêteté de déclarer clairement, comme Aristote à Alexandre, qu'une telle voie royale n'existe pas.

Du côté de la communauté mathématicienne, nous battons notre coulpe sur la réforme dite des mathématiques modernes qui a trop misé sur la formalisation et les démonstrations abstraites, et trop négligé la construction du sens. La mathématique est souvent vécue comme dépourvue de sens et désséchante par les élèves. Il s'agit là probablement du problème le plus important à résoudre par les professeurs de mathématiques des écoles et des collèges.

Du côté du milieu scolaire non-mathématicien, nous mettons en évidence l'incohérence entre le discours gouvernemental officiel proclamant la nécessité du "virage technologique" et la réalité scolaire où on a assisté au cours des ans à une diminution des exigences, des préalables et des heures d'enseignement en mathématiques, y compris dans les programmes techniques ou professionnels. Pour les élèves, il en résulte une diminution de la capacité générale de comprendre et donc de s'adapter qui sera l'une des qualités principales dans le domaine technologique au XXIe siècle. Comme société évoluée on ne peut se contenter d'importer une technologie toute faite. Ce qui est payant ce sont les inventions techniques. Or, comme le dit Jacquart, les inventions au XXIe siècle seront de moins en moins le fait d'inventeurs-bricoleurs et de plus en plus le fait d'inventeurs-concepteurs qui s'appuient sur tout un corpus de connaissances qui sont parfois bien éloignées de l'expérience immédiate. C'est toute notre capacité technique qui se trouve compromise par une formation technique inadéquate qui ne fait pas une place suffisante aux mathématiques et aux sciences fondamentales sous prétexte que ce sont pas des "compétences" absolument et immédiatement nécessaires. Est-il nécessaire d'ajouter que l'école-garderie prépare mal à la compétition internationale. Dans le même ordre d'idée, les commissions scolaires assignent à des tâches d'enseignement mathématique des gens qui n'ont pas la préparation requise. D'une façon générale, nous constatons une mauvaise communication entre l'enseignement réel et la gestion de l'enseignement.

Finalement, sur le plan sociétal, une des difficultés importantes dans l'enseignement des mathématiques se trouve dans certaines tendances de la société contemporaine. Il faut bien constater que nous vivons socialement dans l'à-peu-près et dans le culte du provisoire, alors que les mathématiques requièrent de l'exactitude dans le langage et exigent une longue durée d'apprentissage, comme dans le cas de la langue maternelle. Il faut dire aussi qu'il y a recrudescence de l'irrationalisme et de la pensée magique même dans nos sociétés dites avancées, alors que les mathématiques visent à développer une attitude rationnelle et antidogmatique face au monde.

Cela complète le tableau des difficulté que nous avons identifiées dans l'enseignement des mathématiques.

Dans les deux dernières parties de notre mémoire, nous avançons des idées de solution en vue d'améliorer le système d'éducation en ce qui touche à l'enseignement des mathématiques: 8 recommandations suggèrent des moyens concrets à mettre en oeuvre.

 

Bernard Courteau, président de l'AMQ.